1776 - La révolte de Koré-Dathan-Abiram contre Moïse et Aaron dans "La Bible enfin expliquée" de Voltaire

Le Châtiment de Koré, Dathan et Abiram - Sandro Botticelli


LA REVOLTE CONTRE MOISE ET AARON

in "La Bible enfin expliquée" (Chapitre "Nombres") de Voltaire

En ce temps-là (Nombres, chap. XVI, V.I ), Coré, fils d'Isaar, Dathan et Abiron, fils d'Éliab, et Hon, fils de Phéleth, s'élevèrent contre Mosé et Aaron avec deux cent cinquante des principaux de la synagogue; et, s'étant présentés devant Mosé, ils lui dirent : Qu'il vous suffise que ce peuple est un peuple de saints, et que le Seigneur est dans eux; pourquoi vous élevez-vous sur le peuple de Dieu? Ce que Mosé ayant entendu, il tomba par terre; puis il dit à Coré et à toute sa troupe : Demain Dieu fera connaître ceux qui sont à lui... que chacun prenne son encensoir, toi Coré et tous tes adhérents, et demain mettez du feu sur vos encensoirs devant le Seigneur; et celui qu'il aura choisi sera saint : vous êtes trop insolents, enfants de Lévi.
Mosé étant donc extrêmement en colère... dit à Coré: Présente-toi demain avec toute ta troupe d'un côté, et Aaron se présentera de l'autre.

Si l'on en croit les savants hardis dont nous avons déjà tant parlé, cette histoire de Coré, Dathan et Abiron fut écrite après le retour des Juifs de la captivité de Babylone, lorsqu'on se disputait dans Jérusalem la place de grand-prêtre avec plus de fureur que n'en ont jamais déployé les antipapes. Les frères alors tuaient leurs frères pour parvenir au souverain pontificat ; et il n'y eut jamais plus de troubles chez les Juifs que quand ils furent gouvernés par leurs pontifes avant et après les conquêtes d'Alexandre.

On suppose donc qu'alors quelque Juif, pour rendre le sacerdoce plus vénérable, écrivit cette histoire, qui ne tient point au reste du Pentateuque, et l'inséra dans le Canon. Nous croyons que c'est une conjecture hasardée. D'autres la rejettent absolument, comme incompatible avec l'éloge qu'on donne à Mosé dans le Pentateuque d'avoir été le plus doux des hommes.

Il n'est pas surprenant, disent-ils, que Coré, arrière-petit-fils du patriarche Lévi, Dathan, Abiron et Hon, descendants de Ruben, fussent mécontents de la supériorité que Mosé affectait sur eux, puisque Aaron son frère et Marie sa sœur avaient montré les mêmes sentiments.

Les deux cent cinquante Juifs qui étaient de leur parti étaient les premiers de la nation; c'était un schisme dans toutes les formes. Ces savants prétendent que le terme de synagogue, dont l'auteur sacré se sert ici, prouve que ce livre fut fait dans le temps de la synagogue, et non pas dans le désert, où il n'y avait point de synagogue. Ils disent que ce mot a échappé au faussaire qui a mis cet ouvrage sous le nom de Mosé lui-même, et qui s'est trahi par cette inadvertance.

Ils croient voir tant de cruautés et tant de prodiges dans cette aventure, qu'ils la regardent comme une fiction 5 ils ne parlent qu'avec horreur de quatorze mille sept cents hommes mourant par le feu du ciel, et de deux cent cinquante chefs du peuple engloutis dans la terre.

Toland et Woolston ont la hardiesse de traiter ce châtiment divin de roman diabolique.

Quelques commentateurs ont cru, en lisant le mot infernum, qui est dans la Vulgate, pour la fosse, qu'il signifiait l'enfer, tel que nous l'admettons, enfer que les Juifs ne connaissaient pas. Ces mots, descenderunt vivi in infernum ( chap. XVI, V. 33 ), signifient qu'ils descendirent vivants dans le souterrain; c'est ce que nous avons déjà remarqué. Cette équivoque, qui n'est que dans la Vulgate, a occasionné bien des méprises. Les commentateurs ont pris souvent infernum la fosse, la sépulture, pour l'enfer; et lucifer, l'étoile du matin , pour le diable.

Cette histoire a révolté plusieurs Juifs, au point qu'un d'eux écrivit l'origine de la querelle entre Mosé et ses adversaires pour la rendre odieuse et ridicule. C'est le seul ouvrage de plaisanterie qui nous soit venu des anciens Juifs. On ne sait pas dans quel temps il fut écrit. Il est intitulé Livre des choses omises par Mosé. On l'imprima à Venise en hébreu sous le titre Maynshioth sur la fin du quinzième siècle. Le savant Gilbert Gaulmin le traduisit en latin ; et Albert Fabricius l'inséra dans sa Collection en 1714. En voici la traduction en notre langue : « Le commencement de la querelle vint par une veuve; elle n'avait qu'une brebis qu'elle voulut tondre. Aaron vint et emporta la laine, en disant qu'elle lui appartenait par la loi, dans laquelle il est écrit : Tu donneras à Dieu les prémices de la laine de ton troupeau. La veuve alla implorer Coré avec des larmes et des gémissements. Coré alla vers Aaron, mais il ne put le fléchir; alors prenant pitié de la veuve il lui donna quatre pièces d'argent, et s'en retourna fort en colère. Quelque temps après, la même brebis mit bas son premier agneau; dès qu'Aaron le sut, il courut chez la femme, prit l'agneau et l'emporta. La pauvre veuve alla encore pleurer chez Coré ; celui-ci conjura Aaron une seconde fois de rendre à la veuve son seul bien. Je ne le puis, répondit le prêtre Aaron, car il est écrit : Tout mâle premier né du troupeau sera offert au Seigneur. Il retint l'agneau pour lui, et Coré le quitta furieux. La femme désespérée tua la brebis ; Aaron vint sur-le-champ, et prit pour lui l'épaule, le cou et le ventre. Coré retourna vers Aaron, et lui fit de nouveaux reproches. Il est écrit, répondit le pontife : Tu a donneras l'épaule, le cou et le ventre au prêtre. La veuve, poussée à bout, jura et dit : Que ma brebis soit anathème. Aaron l'ayant su prit la brebis entière pour lui, en disant: Il est écrit : « Tout anathème dans Israël t'appartiendra ». L'auteur dit ensuite que Coré, Dathan et Abiron formèrent un parti considérable contre Aaron, mais qu'ils ne furent pas les plus forts, et que quatorze mille des leurs périrent dans une bataille.

On a conjecturé que cette satire juive, la seule qui nous soit parvenue, fut écrite lorsque le grand-prêtre Jean, disputant la tiare à son frère Jésus, le tua dans le temple même, du temps du roi Artaxerxès. Nous n'entrons point dans cette vaine dispute ; nous devons rejeter tout ce qui n'est pas contenu dans les livres saints dont nous commentons avec respect les principaux endroits, sans oser en approfondir le sens. Nous dirons seulement que de tout temps il y eut des esprits hardis qui se piquèrent d'être au dessus des préjugés du vulgaire; il y en a beaucoup aujourd'hui à Rome, à Constantinople, à Londres, dans Amsterdam, dans Paris, dans Pékin ; mais ils ne forment point de factions, et par là ils ne sont pas dangereux. Or le parti de Dathan, Coré et Abiron paraît avoir été une faction considérable réprimée par ceux qui avaient le pouvoir en main.

Prenez chacun vos encensoirs, mettez-y de l'encens; présentez à Dieu vos encensoirs, et qu'Araon tienne aussi son encensoir. Ce que Coré et sa troupe ayant fait en présence de Mosé et d'Aaron, la gloire du Seigneur apparut à tous. Et le Seigneur parla à Mosé et à Aaron, et leur dit : Séparezvous de leur assemblée, afin que je les détruise tout à coup. Mosé s'étant levé s'avança vers Dathan et Abiron, suivi des anciens d'Israël. Il dit au peuple : Retirez-vous des tentes de ces impies..., vous allez reconnaître que c'est Dieu qui m'a envoyé pour faire tout ce que vous voyez : si ces hommes meurent d'une mort ordinaire, et de quelque plaie dont les autres hommes sont frappés, Dieu ne m'a pas envoyé; mais, si le Seigneur fait une chose nouvelle, si la terre s'entr'ouvrant les engloutit et tout ce qui leur appartient, et qu'ils descendent dans la fosse tout vivants, vous saurez qu'ils ont blasphémé le Seigneur. Et dès qu'il eut cessé de parler, la terre s'entr'ouvrit sous leurs pieds, et, ouvrant la gueule, elle les dévora avec toute leur substance.

Et ils descendirent tout vivants dans la fosse couverts de terre, et ils périrent du milieu du peuple; et tout Israël, qui était là en cercle, s'enfuit aux cris des mourants, de peur que la terre ne les engloutît aussi. En même temps un feu sortit du Seigneur, et tua les deux cent cinquante hommes qui offraient de l'encens. Et Dieu parla à Mosé, disant : Commande au prêtre Éléazar, fils d'Aaron, de prendre tous ces encensoirs, et de jeter le feu de côté et d'autre, car ils sont sanctifiés par la mort des pécheurs; qu'il les réduise en lames, et qu'il les attache à l'autel, car ils sont sanctifiés.

Le lendemain toute la multitude d'Israël murmura contre Mosé et Aaron, disant : C'est vous qui avez tué les gens du peuple de Dieu. El la sédition augmentant, Mosé et Aaron s'enfuirent au tabernacle du pacte. Quand ils y furent entrés, la nuée les couvrit, et la gloire du Seigneur parut. Dieu dit à Mosé : Retire-toi du milieu de cette multitude, je m'en vais les exterminer dans le moment. Ils se jetèrent tous par terre. Mosé dit à Aaron : Prends ton encensoir, mets-y du feu de l'autel, et va vite au peuple, prie pour eux; car la colère est sortie du Seigneur, et la plaie a commencé. Ce qu'ayant fait Aaron, et ayant couru à la multitude que le feu embrasait, il offrit de l'encens, et se tenant entre les morts et les vivants, il pria pour le peuple, et la plaie cessa. Le nombre de ceux qui furent frappés de cette plaie fut de quatorze mille sept cents hommes, sans ceux qui étaient morts avec Coré dans la sédition.

Le Seigneur ( chap. XIX, V.II ) parle encore à Mosé et à Aaron, disant : Voici la religion de la victime. Commande que les enfants d'Israël amènent une vache rousse, d'un âge parfait, sans tache, et qui n'ait jamais porté le joug. On la donnera au prêtre Éléazar, qui la mènera hors du camp et l'immolera devant le peuple. Il trempera le doigt dans son sang, et il en aspergera les portes du tabernacle. Il la brûlera devant tout le monde, tant la peau et les chairs que le sang et la bouse... Il jettera dans le feu du bois de cèdre, de l'hysope, et de la pourpre deux fois teinte. Il reviendra au camp, et sera impur jusqu'au soir. Un homme qui sera pur amassera les cendres de la vache, et les mettra hors du camp dans un lieu très pur, pour en faire une eau d'aspersion.

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